Un article rédigé par Alain Lefebvre - avril 2012
Cela fait désormais presque 4 ans qu’iRacing est opérationnel et on peut penser que le pari est en passe d’être gagné. Car pari il y avait au départ : au moment de son lancement, iRacing était vraiment le seul de sa catégorie !
Jugez-en : le premier à offrir des tracés scannés au laser, le premier (dans la catégorie Simracing of course !) à reposer sur le concept du pay-to-play et le premier à ne pas offrir qu’une simulation mais aussi tout l’environnement de compétition qui va autour (y compris avec un mécanisme de notes/pénalités tout à fait inédit, le fameux SR)… Excusez du peu !
Sans compter que les voitures proposées n’étaient pas nombreuses au départ (idem pour les circuits) et qu’elles étaient plutôt exigeantes sur le plan pilotage, l’offre semblait tout à la fois élitiste et contraignante. Force est de constater que ce pari a plutôt bien résisté à un lancement difficile (les critiques du mode de paiement étaient nombreuses) et à l’usure du temps (en 4 ans, il est incontestable que le logiciel s’est amélioré en permanence, tant sur le plan des fonctionnalités que du contenu).
Aujourd’hui, iRacing affirme aligner plus de 32 000 abonnés et organise régulièrement des centaines de courses, sans compter les dizaines de ligues qui s’activent sur sa plateforme. Les critiques ne manquent pas, le forum dédié affiche de temps en temps des "coups de fièvres" mais, globalement, on peut penser que, finalement, tout va pour le mieux… Et que ça ira encore mieux dans les mois à venir. En effet, les annonces des futurs contenus se succèdent : McLaren GT, Ruf (en attendant d’avoir une "vraie" Porsche, c’est tout de même mieux que rien) et Lotus 49 (le quasi-bide de la Lotus 79 ne semble avoir découragé le staff d’iRacing qui renoue avec les voitures historiques en choisissant l’icône du domaine avec cette Lotus -également annoncée par Assetto Corsa- qui est encore dans toutes les mémoires de ceux qui se sont un jour mesuré à GPL…). Idem du côté des nouveaux tracés qui sont de moins en moins américains et de plus en plus souvent des circuits routiers intéressants (Spa, Suzuka, Outlon Park, pour ne citer que les derniers en date).
Pourtant, j’affirme qu’iRacing est en crise et que cette crise va forcément produire ses effets à plus ou moins brève échéance !
Je n’ai pas été convié au conseil d’administration de la société et Dave Kaemmer ne me fait pas des confidences exclusives par Skype… Mais, avec un minimum d’analyse, la dégradation de la situation me paraît évidente et voilà pourquoi.
Tout d’abord, le nombre d’abonnés. 32 000, ça paraît conséquent mais ça reste bien peu de chose face aux millions de copies de vendues de Gran Turismo, Forza, Need For Speed ou même Shift 1 & 2 (qui fait partie de la série Need For Speed d’ailleurs). Pire, il suffit de constater que PCARS a réussi à attirer plus de 40 000 "investisseurs" pour comprendre qu’il y a quelque chose qui cloche. Il semble bien qu’iRacing n’ai pas réussi à "faire le plein" dans sa niche de marché. Sinon, ce n’est pas 32 000 utilisateurs payants que le service pourrait afficher mais au moins le double.
Mais ça, ce ne sont que les symptômes extérieurs… C’est à l’intérieur que la situation apparaît la plus troublée. Tout d’abord, on aimerait bien que ce chiffre de 32 000 abonnés se traduise par une meilleure fréquentation des différentes séries. Or, la fréquentation des compétitions (point clé du succès de la plateforme à long terme) est très inégale selon les séries : très bonnes pour certaines et plutôt mauvaises pour la plupart (voire désastreuses pour certaines).
On peut se faire une idée précise de la question en examinant les chiffres suivants, issus d’une petite étude statistiques sans prétention (que j’ai réalisée) mais qui permet de situer le problème ; en me basant uniquement sur la toute dernière saison écoulée (S3 2011), voilà ce que ça donne en terme de participation (le Nb de séries est égal de part et d’autre) : les chiffres indiquent le nombre total de participants de chaque série, toutes manches confondues.
Oval |
|
Road | ||
Indycar series | 983 |
|
Classic lotus GP | 324 |
Indycar series fixed | 1443 |
|
Grand AM | 894 |
Late model series | 2939 |
|
Indycar series | 495 |
Legend cup fixed | 9839 |
|
Indycar series fixed | 901 |
Silver crown cup | 146 |
|
GP series | 289 |
Sprint car series | 145 |
|
Grand touring cup | 1582 |
Street stock series | 3956 |
|
Proto & GT | 1289 |
Class A series | 1553 |
|
Proto & GT fixed | 1734 |
Class B series | 2371 |
|
V8 | 533 |
Class B series fixed | 2048 |
|
Mazda cup | 12352 |
Class C series | 4160 |
|
Mustang challenge | 2141 |
Class C series fixed | 3475 |
|
Radical challenge | 770 |
Tour modified series | 422 |
|
Skip Barber | 2556 |
SK modified series | 1196 |
|
Star mazda | 2118 |
Total | 34676 |
|
Total | 27978 |
Ça donne un net avantage aux séries sur ovales : 34676 contre 27978. C’est encore pire (ou plus accentué) si on retire la série la plus populaire de chaque côté… Là, la répartition donne 24837 pour les épreuves sur ovales et 15626 pour les séries routières…
Cette petite étude permet aussi de situer les séries très populaires et celles qui le sont moins… La série la plus fréquentée en ovales (Legend Cup) rassemble presque 10 000 participants (9839) alors que les séries les moins populaires (Silver Crown et Sprint Cars) n’atteignent pas 150, soit 67 fois moins !
Ce n’est pas mieux pour les séries routières puisque l’écart entre la plus fréquentée (Star Mazda cup avec 12352 participants) et la moins populaire (GP série avec 289) représente un multiple de 42 !
En pratique, cela veut dire qu’entre les séries populaires et les séries qui le sont moins, vous avez dix, vingt, trente fois plus de chances de trouver des plateaux suffisamment garnis pour que la course ait effectivement lieu, tout simplement… Certains vont dire qu’il suffit de réduire le nombre de séries disponibles pour résoudre le problème mais, pour une raison qui m’échappe, iRacing semble se refuser obstinément à le faire…
La fréquentation inégale n’est pas le seul problème mais elle est un bon indicateur de la crise en cours. Autres problèmes récurrents : le SR et la procédure de protestation. Alors qu’il est au centre de nombreuses critiques, Dave Kaemmer continue de dire (dans une récente interview parue dans AutoSimSport) que les principes du SR fonctionnent et qu’il ne faut pas les réformer… C’est pour le moins discutable et nombreux sont ceux qui commencent à se fatiguer d’être pénalisé même quand leur responsabilité n’est pas engagée. Payer pour prendre des coups et perdre des points, au bout d’un moment, c’est vrai, ça fatigue !
La procédure de protestation semble aussi ne pas aboutir souvent (y compris dans les cas les plus flagrants d’irresponsabilité, c’est toujours le "fait de course" qui est invoqué… Si c’est pour que cela ne serve à rien, la procédure de protestation peut tout aussi bien être supprimée, ce sera plus simple !) et nombreux sont ceux qui trouvent que ça commence à faire beaucoup…
Le logiciel évolue toujours et c’est une bonne chose : les lacunes sont comblées une à une (trop lentement diront certains mais c’est déjà beaucoup que le rythme des améliorations soit conservé) et le contenu ne cesse de s’étoffer. Mais, depuis un an, c’est la stabilité du contenu qui pêche désormais. En effet, le comportement des voitures est trop variable d’un build à un autre : on ne sait plus qu’elle était la version "réaliste" finalement tellement un modèle peut être impacté par l’application du fameux "nouveau modèle de pneus" et de ses corrections qui ne manque pas d’arriver par la suite.
Tout cela est déjà assez ennuyeux mais il semble que le pire soit à venir… En effet, il apparaît que le staff d’iRacing ne sache plus trop dans quelle direction aller ni qu’elle est la ligne directrice à renforcer. Après avoir positionné iRacing comme une simulation "hard core" et sans concessions, voilà qu’apparaissent finalement des aides au pilotage !
Certes, ces aides sont limitées et ne peuvent être utilisées au-delà des séries destinées aux rookies mais tout de même, on peut y voir la marque d’un certain désarroi dans la gestion stratégique du positionnement de la simulation. Car, finalement, à qui s’adresse iRacing ?
Uniquement aux plus acharnés des "purs et durs" ?
Si oui, alors on peut parier que le cap des 40 000 abonnés va mettre du temps à être atteint si jamais il l’est…
Ou alors, iRacing vise-t-il aussi la frange autrement plus nombreuse des "casual gamers" ?
Mais ces derniers viennent principalement des jeux sur consoles et n’ont pas les mêmes attentes ni les mêmes exigences que les "purs et durs"… Ces deux options sont totalement antagonistes et on voit mal comment les concilier. Et pourtant, on pourrait penser que le staff d’iRacing espère pouvoir viser et l’une et l’autre avec les futures évolutions du service. Là encore, on peut se référerer à l’interview parue dans AutoSimSport et où Dave Kaemmer parait pour le moins nébuleux sur la direction choisie.
Bref, pour toutes ces raisons, je suis plutôt pessimiste quand à l’avenir de ce service. Et pourtant, j’étais un de ces premiers supporters en France et je continue à penser qu’il représente le top actuel en matière de compétition online. Il est toujours facile de critiquer mais c’est aussi oublier les domaines où iRacing est incontestablement loin au-dessus de tous ces concurrents. Prenons un exemple : le netcode.
Connaissez-vous aujourd’hui beaucoup de simulations qui permettent de rassembler des plateaux de plus de 30 concurrents avec un aussi bon rendu graphique ?
Selon moi, iRacing est aujourd’hui la seule à organiser des événements comme les dernières "2.4H of Daytona" où nous étions plus de mille à nous aligner (répartis en des dizaines de "split"). Le mien rassemblait 42 pilotes au départ, sur le tracé "road" de Daytona (superbe la nuit, soit dit en passant) et, après 160 minutes, nous étions encore 26 à l’arrivée (j’ai terminé en 4ème position). Une expérience globalement inoubliable et qui doit être versée au crédit des qualités de cette plateforme (ainsi que la solide infrastructure mise en place par le staff d’iRacing… La qualité a un prix et, avec des courses comme celle-ci, on n’a pas l’impression d’avoir gaspillé son argent !).
En conclusion, je ne pense pas que le danger pour iRacing vienne de la concurrence : même si rFactor2 présente un meilleur FFB (et c’est le cas !), cela va rester une plateforme de modding et ne proposera rien pour concurrencer la remarquable (quoique pas assez fréquentée) structure des compétitions mise en place par le staff d’iRacing. Idem pour les autres : PCARS (à l’avenir toujours incertain, on y reviendra dans un prochain article) ou Assetto Corsa. Même si l’un est plus beau qu’iRacing (PCARS) et l’autre encore plus "réaliste" (allez, supposons qu’Assetto Corsa casse la baraque !), il restera encore de la place pour une simulation qui offre un cadre de compétitions bien organisées et bien encadrées (ce qui est le propre d’iRacing, ce point est rarement souligné comme il le devrait).
Mais le vrai danger pour le futur d’iRacing est intérieur : si l’orientation stratégique se met à "flotter", si les évolutions prévues tentent de "ménager le chèvre et le chou", alors le service va "perdre son âme" et va forcément commencer à perdre des abonnés. Un service de l’ampleur d’iRacing (avec les investissements que cela représente) a forcément besoin d’être entraîné par une spirale positive (plus de succès, plus d’abonnés). Si jamais le mouvement venait à s’inverser (je ne pense pas que c’est déjà le cas, pas encore), la dégringolade serait rapide et le pire n’est alors pas exclu (fermeture du service).